[explicit] Oiseaux de nuit [privé]

Bambi:

Il avait écouté sa petite histoire en accompagnant ses interrogations de petits mouvements de tête. Lui allait à l'essentiel, encore. Mais ses mots n'en étaient que plus intéressants finalement. Son trouble ne lui échappa pas. Le grand blond semblait réfléchir, peut être un peu trop pour une question si forte.  Il avoua avoir peur de l'échec. Bambi pouvait le comprendre. Sans doute n'étais-ce pas poli d'argumenter sur une angoisse si profonde mais la professeur, espérant ne pas le heurter et avec l'espoir de l'aider comme elle le pouvait, ne put s'empêcher d'essayer de le remettre doucement en question. Elle trouvait cette fatalité dans sa voix bien trop triste.

- Si je peux me permettre, échouer n'est pas une finalité en soit. C'est subjectif. Vous ne pensez pas que la véritable perte résiderait dans le fait de ne rien essayer simplement par peur du résultat?

La jolie brune était du genre franche mais elle trouvait que pour des réflexions si profondes l'honnêteté payerait mieux que de vagues paroles de politesses sans fondements. C'est par respect pour lui qu'elle se permit donc d'expliquer ce point de vue. Elle aimait beaucoup l'étrangeté du moment, s'épancher sur des sujets lourds avec un semi inconnu sous un déluge. Cela faisait très longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de discuter avec tant de liberté avec quelqu'un.

- C'est en prenant des risques que l'on acquérit les choses avec le plus de valeur. Même si cela signifie accepter de se mettre en danger.

Bambi jeta un coup d'œil vers son interlocuteur, guettant l'expression de son visage. Elle décida de conclure par une remarque positive, écho direct à sa proposition plus tôt dans la soirée.

- Vous êtes donc bien quelqu'un de courageux finalement.

Elle lui sourit tendrement, sans doute pour se montrer rassurante. Il dégageait quelque chose de fort même si il semblait bien compliqué à cerné. Bambi appréciait sa compagnie.

Rory:

Il n'attendait pas de réponse, il n'avait énoncé que des faits. Il se sentait bizarre, étrangement bizarre, ni bien ni mal. Il n'avait exprimé qu'une once et c'était déjà plus que tout ce qu'il avait pu confier à qui que ce soit. Seule sa sœur avait un jour eu le droit d'écouter ses états d'âmes, mais c'était il y a plusieurs mois déjà. Cette soirée avait été riche en événements et sa façade avait été bien ébranlée, ces confidences étaient peut-être le résultat d'une pression relâchée par une escapade haute en couleurs. Si son visage restait de marbre, ses yeux trahissaient ce qu'il pouvait bien ressentir à travers les mots qu'il avait adressés en réponse à Bambi.

Il se reconstruisit rapidement une contenance en buvant quelques gorgées de sa bière fruitée. La professeure choisit de tenter de lui répondre, éventuellement de se montrer réconfortante. Ces quelques mots ne pouvaient pas démolir cet amas d'incertitudes amassées sur plusieurs années, il apprécia l'attention bien qu'il ne put répondre à son sourire. Elle n'avait pas tord, mais une partie de lui ne pouvait s'empêcher de lui chuchoter que certaines finalités étaient de sa faute qu'il aurait pu faire mieux. Autant dans son travail que personnellement.

- Vous êtes donc bien quelqu'un de courageux finalement.

Le grand blond n'avait entendu ces mots de seulement deux personnes par le passé, l'une d'elle étant sa soeur. Il leva un regard un peu surpris qu'il posa sur son interlocutrice. D'habitude, il était de l'autre côté de la table, c'était lui qui disait ce genre de chose à l'égard de ceux qui le méritaient et qui en avaient besoin. Peut-être bien que cette fois-ci, c'était à son tour. Il ne sut pas trop comment réagir, trop peu habitué à ce type d'attentions.

- Merci.

Il n'était pas sûr de si c'était la réponse à donner, de si c'était un compliment qui demandait à être remercié. Il fit tourner légèrement son verre, distrayant son attention sur le liquide carmin qui tournoyait contre les parois de son contenant. Il n'en menait pas large, ses cheveux dérangés par le casque et la pluie, mis à nu devant une inconnue dont il appréciait la compagnie. C'était regrettable qu'il n'ait jamais pris le temps d'apprendre à mieux connaître ses collègues cette année, même s'il n'a jamais été du genre à faire les premiers pas.

- Vous êtes courageuse aussi, vous savez.

Pour attendre sans ciller toutes ces années, elle devait en avoir, du courage. Rory avait eu l'occasion d'en rencontrer, des gens qui n'en pouvaient plus. Il espérait que quoi qu'elle puisse attendre, elle finisse par le trouver.

Il risqua un coup d'oeil vers le dehors, n'y voyant que la nuit et quelques trombes d'eau pourlécher les vitres du bar. Il réfléchit un instant à un sujet de conversation plus léger, espérant un peu aussi détourner le sujet vers une discussion qui ne nécessiterait pas qu'il ait à chercher trop loin dans ce qu'il avait enterré.

Du coin de l'oeil, ses prunelles ne posèrent sur la professeure.

- Ca fait longtemps que vous enseignez ici?

Bambi:

Il semblait chercher quelque chose, les yeux plongés au fond de son verre. Si bien que Bambi crut qu'il allait s'y noyer l'espace d'un instant. Un échappatoire peut être? Et l'envie de lui sortir la tête de l'eau lui traversa l'esprit. Sa dernière remarque trouva écho sur son regard. Il semblait prit de court pas le compliment. Bien que l'homme assis à ses côté ne comptait pas parmi les plus expressifs aux premiers abords, il semblait trahir ses failles par une prunelle qui se faisait - parfois - moins lourde.

Bambi pensait réellement ce qu'elle venait de lui dire. Psychologue ne devait pas être un métier facile et encore moins avec des enfants empreint de doutes, de cicatrices. Elle respectait sa capacité à encaisser la détresse d'autrui en plus de - ce qu'elle supposait être - la sienne. Sans doute aura-t-elle eu besoin d'un Donovan dans sa vie durant sa jeunesse.

Vous êtes courageuse aussi, vous savez. La femme de cuir ne répondit pas à cette phrase, se contentant d'élargir son sourire passager en laissant son regard courir au loin derrière le comptoir. C'était amer. Elle ne savait pas vraiment si c'était du courage ou de l'espoir mal placé, mais cette idée lui plaisait. Ca lui permettait de croire que l'attente avait du sens et de se consoler rien qu'un peu de tant de déception.

- Je dirais environ deux ans maintenant. Et vous, combien de temps depuis la Caroline du Nord?

Bambi laissa ses doigts remonter le long de sa coupelle jusqu'à quitter le contact froid du cristal. Elle finit par atteindre comme point culminant la queue d'un petit fruit qui la taquinait déjà depuis un moment. Portant la cerise à ses lèvres sans même se rendre compte de l'air tendancieux de sa façon de savourer, elle prit son temps pour croquer. Une bouche aussi rouge que la chair qui s'y risque. Succion qui s'ignore. Elle supposa ensuite que c'était à son tour de renchérir s'intéressant à la disponibilité de son cœur, simplement parce que cela lui parût aller dans le sens de la conversation pour apprendre à mieux connaitre son collègue.

- Vous avez ramené quelqu'un dans vos valises?

Elle jeta un regard au grand blond. Le négligé de la pluie et sa coiffure malmenée lui seyait à merveille, mais cette pensée fut étouffée volontairement. C'était si inattendu cette vision ébouriffée, lui qui se baladait tout le temps impeccable. Bambi était sensible à ce genre de petites mises à nue. Comme pour fuir cette constatation, elle posa sa joue dans sa main, le coude appuyé contre le bar en se tournant vers Donovan. L'alcool, même consommé modestement, ne faisait que rendre la pente un peu plus glissante. C'est de véritables yeux de biches qu'elle lui servait. Elle resta un moment à l'écouter en silence et sa pensée se mua au fond de sa gorge si forte qu'elle lui échappa.

- Le négligé vous va plutôt bien.

Et elle se détacha comme si de rien était de la table pour reprendre une gorgée d'un verre qui se vidait doucement.

Rory:

Il observait son interlocutrice, tourna lentement sa tête vers elle, alternant son regard entre son verre et elle, se perdant parfois sur le sien et sur la cerise qu'elle n'avait pas encore croquée. Son sourire sembla s'étirer légèrement, mais pas d'une sincérité touchée par les mots qu'il lui avait adressée. Rory y décelait une certaine amertume, ce genre de sourires, il en avait vu beaucoup dans sa carrière. Ils étaient beaucoup, ces gens qui traînaient un sac de pierres derrière eux, embarquant avec toutes les cailloux qui croisaient leur chemin, tirant chaque jour un monticule encore plus lourd jusqu'à ce que le poids soit trop dur à assumer. Il espérait que Bambi fasse partie des gens qui réussiraient à s'en débarrasser.

Elle répondit à sa question. Deux ans environs, elle n'est donc pas arrivée très longtemps avant lui. Elle lui retourna la question, mentionnant son lieu de travail précédent. 

- Un an et demi seulement, pas longtemps après vous finalement.

Lorsqu'il eut terminé de répondre, son regard osa se poser sur les lèvres rouges de la professeure. Ses lèvres fascinantes croquant le fruit, le psychologue ne put empêcher quelques images évocatrice de se glisser entre ses pensées, pensées qu'il chassa rapidement. Cette soirée lui avait retourné la tête plus qu'il ne souhaitait se l'avouer. Lorsqu'elle eut terminé de savourer sa cerise, elle se risqua à l'interroger à son tour, de façon un petit peu plus personnelle.

S'il avait apporté quelqu'un dans sa valise? Il eut une latence, le temps de comprendre l'idée qu'elle avait voulu faire passer et la réponse était.. Pas le moins du monde. Il fallait dire que c'était le calme plat dans sa vie depuis quelques années. Après tout, son travail lui prenait déjà assez de temps, pouvait-il vraiment se donner le droit d'y songer, est-ce que ce serait une responsabilité qu'il se sentait de prendre? Il ne savait pas trop et c'était mieux de ne pas trop y réfléchir.

- Non, personne dans ma valise, répondit-il en reprenant ses mots. Et vous?

La moindre des choses était de lui retourner sa question. Il jeta un coup d'oeil vers elle, rencontrant les yeux de biche de la dénommée Bambi. Il sentit presque déshabillé par son regard, mis à nu sans aucune gêne dans l'enceinte de l'établissement. Elle brisa le léger silence, laissant s'échapper des mots qu'il ne crut pas tout de suite avoir bien entendu. Il pensa presque qu'elle n'avait éventuellement pas l'intention de les dire à voix haute. Par réflexe il passa une main dans ses cheveux, essayant vainement de les remettre en état, sans grand succès. À l'intérieur, il était un peu désarçonné, il ne sut pas trop comment réagir, mais il n'en montra rien. Il lui retourna le compliment.

- Je ne peux pas dire la même chose de vous, vous êtes encore impeccable.

Rory avait certes joué la carte de la politesse mais il était du genre à penser les mots qu'il prononçait à haute voix.

Bambi:

Ses dates d'arrivée au pensionnat corrélaient relativement avec les siennes. Il sembla mouliner un instant dans la semoule pour comprendre son allusion. Bambi trouvait la tournure plus élégante ainsi, ça lui permettait de ne pas se montrer trop indiscrète tout en satisfaisant sa curiosité naissante pour Donovan.

- Personne non plus.

Non pas qu'elle ait quelque chose contre la compagnie des hommes mais elle n'avait jamais trouvé les ressources suffisantes pour prendre le risque d'une nouvelle déception, préférant sans doute se pencher sur l'éducation de ses élèves plutôt que sur sa vie amoureuse. La jolie brune trouvait déjà son plein d'aventures dans les balades nocturnes à défier la vitesse, à se perdre dans l'ivresse solitude de la ville. Pourtant, il était vrai que parfois en s'allongeant dans son lit le soir elle se demandait soudainement depuis quand serrer quelqu'un dans ses bras ne lui était pas arrivé, en tout cas, avec désir, avec amour. Jusqu'à douter que cela se soit réellement produit un jour...

Sa tentative ratée de recoiffage la fit de nouveau sourire légèrement. Loupé Donovan. pensa t-elle en son fort intérieur lorsque les mèches rebelles reprirent leurs formes anarchiques, profitant du coin de l'œil du spectacle.

Elle lui semblait impeccable? Ses cheveux de jais aussi ébranlés que les siens. La peau humide à souhait. Les pensées égarées. Et pour couronner le tout, les sens en suffocations depuis le début de la soirée. En soit si on aimait le genre sauvage sous la pluie, alors oui, elle était parfaite.

- Ahah vous avez une drôle de définition du mot impeccable. lui répondit elle amusée en plaçant l'une de ses mèches encore moite derrière son oreille. Mais je vous remercie.

Elle posa les yeux sur la tige de sa cerise préalablement susurrée. Bambi savait très bien réaliser de petit nœuds avec simplement l'aide de sa langue mais ça aurait été terriblement déplacé de faire une telle démonstration dans un moment pareil. Bien que le terme "déplacé" ai prit un tout nouveau sens depuis leur rencontre. 

- Vous avez des passe-temps? Une passion, peut être?

Elle se demandait bien ce qu'un homme comme lui pouvait faire durant ses heures perdues. Bambi laissa ses yeux verts vaquer sur les bras de son acolyte, perdant le fil de sa jugeote au passage. Elle trouverait bien un moyen d'occuper ses mains là sinon...oups ~

Rory:

Elle non plus n'avait amené personne avec elle dans son périple jusqu'à Headwinds. Il fut peut-être un peu surpris, elle avait beaucoup de choses pour plaire, lui laissant sûrement l'embarras du choix quant à une possible personne pour partager sa vie. Enfin bon, ce n'était pas très correct de la part de Rory de se laisser penser ça, après tout, elle avait certainement ses raisons et il n'avait pas le droit de juger quoi que ce soit.

- Ahah vous avez une drôle de définition du mot impeccable. Mais je vous remercie.

Elle ne sembla pas convaincue par sa remarque à propos de son état, il pensait pourtant sincèrement que le déluge torrentiel qui tombait dehors l'avait épargnée, du moins dans la limite du raisonnable. À la vue de la mine qu'elle arborait, elle ne l'avait pas mal pris, ou alors elle ne l'avait pas montré. Même s'il avait l'oeil pour repérer les non-dits, Donovan, elle avait l'air sincère. Son regard suivit celui de la professeure, se posant sur la queue de cerise qu'elle avait laissé. Cerise qu'elle avait pris soin de manger avec une gourmandise tout particulière, il déglutit et détourna les yeux.

Rory but quelques gorgées de sa boisson, savourant le goût fruité et sucré qui en découlait. Alcool traitre, ça se laissait boire comme du jus de fruit en général mais ça faisait longtemps qu'il n'était plus si sensibles aux effets d'un verre malheureux, surtout bu avec une certaine modération que l'expérience lui avait fait acquérir.

Sa collègue renchérit sur la conversation, plutôt curieuse. C'était majoritairement elle qui menait la danse, choisissant des questions à lui poser. Le psychologue n'était pas sûr de si elle s'y intéressait réellement ou de si elle cherchait simplement à faire la conversation. Il se confiait rarement sur ce qui le touchait de prêt ou de loin, surtout sur ses goûts, alors ses passions encore moins. Il resta songeur un instant.

- J'aime bien le cinéma.

Surtout les vieux films. Mais il ne développa pas, n'ayant intrinsèquement pas envie de passer pour un vieux. Il n'était pas si âgé, mais les traces naissantes qui apparaissaient au coin de ses yeux ou le cheveux gris qui avait le malheur de se glisser dans sa touffe blonde le faisait parfois angoisser.

- Et vous?

Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire de son temps libre? Corriger des copies et préparer des cours étaient chronophages mais il n'hésita pas à penser que ça ne devait pas être son passe-temps le plus amusant. Il termina sa bière, observant son interlocutrice par dessus ses lunettes tandis qu'il écoutait sa réponse. Il risqua un coup d'oeil dehors, la nuit était bien entamée. Même si la soirée était agréable, il espérait qu'ils ne tarderaient pas à rentrer, il avait des choses à faire le lendemain et s'il  ne rentrait pas bientôt, il allait malheureusement avoir beaucoup de mal à les faire.

Bambi:

Elle n'avait rien contre l'art cinématographique. Bambi trouvait ça même très divertissant et varié. Imaginer ce grand blond tout seul dans la salle noire en train de dévorer des films, ça avait un côté attendrissant. Quoi qu'avec de si jolies manières, la brune supposa qu'il ne devait pas avoir de mal à trouver de la compagnie pour ses séances. Elle se questionna quand à ses préférences, c'était vaste le cinéma.

- Un genre en particulier?

La professeur n'avait quand à elle pas de choix définitif en matière de pelicule. Le frisson de l'horreur peut être? Ou bien la délicatesse des histoires d'amour fantaisistes? Les thrillers poignants? Les vieux films au grain particulier de l'âge?

 - Je pense que vous en avez déjà un petit avant goût..., elle ponctua sa phrase en indiquant du menton le casque qu'elle lui avait prêté. J'aime l'adrénaline qui s'en dégage et la sensation de liberté.

Elle renchérit sur une autre occupation d'un tout autre genre, plus calme, comme deux faces d'une même pièce.

- Sinon j'apprécie aussi le charme intemporel des herbiers.

C'était peu commun mais bien plus stimulant qu'on pouvait le penser au premier abord. Au risque de paraître ennuyeuse, elle avait le mérite d'être originale. Depuis toute petite les plantes séchées étaient devenues son refuge, sa thérapie face à un monde peut être trop violent pour son cœur de chérubin. Avec le temps, les angoisses c'étaient apaisées, le caractère affirmé mais l'habitude avait perdurée. À ce jour, sa collection regorgeait de petites trouvailles de plusieurs pays qu'elle gardait jalousement. Elle se verrait bien en donner à faire à ses élèves en y réfléchissant. C'était un bon moyen de développer leur curiosité et les faire lever le nez vers la Nature. Une façon d'éduquer et d'évaluer sans doute bien plus amusant que de gratter le papier. Bambi nota l'idée intérieurement même si cela déviait un peu de sa matière de prédilection.

Elle degusta à son tour la dernière gorgée de son cocktail. La discution était agréable mais le coup d'œil de Rory vers l'exterieur n'étais pas passé inaperçu. Les verres avaient fini par se vider. Le temps filait vite en bonne compagnie et la nuit était bien entamée à présent. D'un geste de main, elle fit signe à son vieil ami de contoir de leur apporter l'addition, qu'elle paya évidemment pour remercier son collègue d'avoir aviser pour les sauver du traquenard d'une certaine feu Dorota. L'heure de rentrer était arrivée. Bambi sentait son corps à vif à l'idée du trajet de retour et de tater de nouveau, une poigne ferme - et loin d'être désagréable - entourer ses hanches, une carrure encore inconnue embrasser la courbe de son dos.

- Et si on s'enfuyait? Il commence à se faire tard.

La tentatrice jetta un coup d'œil complice à son collègue avant de se pencher pour récupérer le casque déposé à ses pieds. Dehors, la pluie semblait s'être interrompue. Cela allait être plus agréable si ils profitaient de cette accalmie.

Elle se glissa loin du comptoir alors que le barman, alerté par le bruit de ses talons sur la parquet, la salua sans se retourner.

-Ciao Bambi! J'espère vous revoir tous les deux. Sortez couvert!

-Merci, on fera attention.

Elle répondit par automatisme, se disant qu'il serait moins gênant d'aller dans son sens de peur qu'il ne lance une nouvelle remarque déplacée. Décidément ce soir les personnes qu'ils croisaient étaient décidés à les mettre dans l'embarras.

Elle enfourcha de nouveau sa monture de métal et attendit que Rory la rejoigne en enfilant ses protections. Lorsqu'il se glissa, la demoiselle eu le malheur de découvrir qu'un simple verre n'avait fait que la rendre plus réceptive au corps de Donovan. Tentant de faire abstraction de sa fascination pour le touché de son collègue, elle l'emporta dans un dernier tour de piste. Elle tourna la tête par dessus son épaule pour s'adresser à l'homme penché sur elle, se heurtant un peu plus à cette proximité.

- On va faire un petit détour rapide pour rentrer. J'ai quelque chose à vous monter.

La pluie torancielle des giboulées de l'été avait laissé place à un temps doux rendant l'aventure un peu plus distincte. Les nuages capricieux leur offraient un moment de grâce. Encore une fois, un frisson qui s'échappe, la déglutition d'un cœur qui tremble.

Elle entama sa route dans la pénombre sans prendre le temps de remonter le col de son haut polisson. Les yeux rivés sur le compteur pour éviter de faillir. La toile des immeubles laissa place à un tunnel interminable, toujours ponctué de la lueur chaude des rares lampadaires. L'ambiance apocalyptique. La température agréable. La pente de la route plus ardue. Ils montaient. Et au bout de ce trou dans une roche sans fond, en récompense pour cette attente, une vue imprenable. Du côté droit, une falaise plongeant raide dans une mer qu'on distinguait sous les rayons d'une lune dégagée, du côté gauche une végétation sauvage et coriace vivant malgré le vent du grand large. Et dans ce tableau immense qui se présentait à eux, une impression d'être fragiles. Minuscules. Insignifiants face à cette beauté. Ivresse de la vitesse. Seuls. Ensemble.

Bambi affectionnait tout particulièrement cette route. Elle était sinueuse, à flanc de montagne et sans doute un peu dangereuse si on ne connaissait pas le coin. Elle était comme elle. Mais avec une conductrice agérie, on pouvait profiter tranquillement d'une balade peu connue. Elle espérait que l'homme tout contre elle ai le même instant de  fascination que la première fois où elle s'y était aventurée. Un paysage que l'île leur offrait comme intime.

Rory:

Toujours très évasif sur ses réponses, une façon de poser des barrières autour de lui et de décourager les moins courageux en vouloir en savoir trop. Bambi faisait partie de ces gens qui aimaient bien escalader les murs, les défis et l'inconnu. Du moins elle en avait l'air. Même si elle était bien curieuse, Rory appréciait sa compagnie, son franc-parlé et cette lueur qui brillait dans ses yeux lorsqu'elle parlait de ce qui lui plaisait.

- Les films d'horreur, avait-il accepter de délivrer à la question de la professeure.

Il profita du fait qu'elle réponde à son tour à l'interrogation précédente pour ne pas avoir à plus développer. Non pas qu'il ait honte de ses goûts, mais une partie de lui n'était pas totalement sûre à l'idée de s'ouvrir un peu trop à des gens qu'il ne connaissait pas ou, en tout cas, pas encore. Et c'est ainsi qu'il apprit qu'elle aimait l'adrénaline, le coup de tête vers le casque qu'il avait gardé laissait penser que le véhicule qui l'attendait dehors lui procurait ces sensations tant souhaitées. Son regard s'égara sur sa tenue, combinaison qui lui seyait à merveille, veillant à ne pas trop y perdre ses yeux de manière malpolie.

Et le charme intemporel des herbiers. Sa collègue n'avait pas la tête de l'emploi, ou peut-être que si. Il y avait quelque chose de tendre dans ce passe-temps, à se forger des souvenirs forestiers, floraux, emprunts d'une certaine nostalgie. Il pensa aux premiers mots qu'elle avait risqué à prononcer au début de leur conversation, à propos de la Russie et de ses plus grandes peurs. Il se demanda à quoi pouvait bien ressembler les pages de tiges séchées qu'elle aurait pris plaisir à remplir. Il hocha doucement la tête, bien que ses lèvres ne trahirent pas un sourire, ses traits détendus s'osaient à témoigner son intérêt pour la réponse qu'elle lui avait donné.

- C'est un passe-temps peu commun.. Et plutôt intéressant.

Il avait cru bon de verbaliser ses pensées, ne pouvant étouffer son ton légèrement curieux. Son coup d'oeil vers le dehors n'était pas passé inaperçu et Bambi demande l'addition, addition qu'elle régla pour eux deux. Peut-être sa façon de compenser l'achat qu'il avait fait pour elle juste avant. La pluie avait l'air de s'être calmée, assez pour qu'il puisse espérer voir quelques chose de son trajet, il n'avait pas tous les jours l'occasion de monter en moto et de profiter de ce type de voyages.

- Et si on s'enfuyait? Il commence à se faire tard.

Rory n'avait plus vingt ans, mais l'espace d'un instant, c'était tout comme.

- Enfuyons-nous.

Le grand blond avait répondu sur un ton un peu plus emballé qu'il ne pensait l'être, suivant Bambi jusqu'à l'extérieur. Le barman leur lança de sortir couverts et c'était tout en son honneur, qui savait si la pluie n'allait pas leur retomber dessus! Malheureusement, ni l'un ni l'autre n'avait de couverture.

Il rejoignit la femme sur sa monture qu'elle avait déjà enfourchée et enfila le casque qu'elle lui avait prêté. Il n'avait pas gagné en souplesse depuis sa première montée et essaya de cacher son mal tandis qu'il se hissait derrière elle, regagnant sa posture de l'allée. Est-ce que c'était ce malheureux verre d'alcool ou le fait de n'avoir laissé son corps être aussi proche de qui que ce soit depuis trop longtemps qui lui faisait cet effet? Rory n'était pas sûr, ignorant les frémissements naissants qui lui parcouraient l'échine, taisant éventuellement les pensées malheureuses qui s’immisçaient dans son esprit tandis que ses jambes touchaient celles de la conductrice, posant ses mains sur les hanches de cette dernière avec une attention beaucoup trop méticuleuse.

- On va faire un petit détour rapide pour rentrer. J'ai quelque chose à vous monter.

La tournure des mots ressemblait à une aventure et vu les événements rocambolesques qui avaient rythmée leur soirée, il était encore prêt pour une petite escapade nocturne avant de retourner la torpeur du quotidien. Il faisait bon. Cette soirée qui semblait avoir un peu mal commencé s'était en réalité très bien déroulée. Il en garderait un beau souvenir, peut-être un peu gênant mais beau quand même. D'ici quelques mois, il trouvera leur petit incident amusant et s'autorisa sûrement à y sourire, secrètement. La professeure démarra et cette fois-ci, les lunettes dégagées, il pouvait voir le paysage défiler comme il l'avait rarement vu. L'horizon urbain finit par laisser place à un panorama moins commun. Son regard se perdit dans l'immensité de ce qu'il pouvait y avoir à voir.

Parfois le hasard fait quelques miracles et celui-ci en était un. Les mains rivées fermement sur le corps de la motarde, peur intrinsèque de tomber face à la grandeur de la scène qui s'offrait à eux, il s'était machinalement rapproché, mi effrayé mi abasourdi. La mer. Rory aimait la mer plus que tout et il n'avait jamais pris le temps de découvrir celle qui s'écrasait sur les flancs de l'île où il vivait à présent. L'eau dangereuse reflétait le peu de lumière que le ciel avait à lui donner, le bruit de ses flots traversant celui du vent qui se plaquait contre leurs casques. Il observait le paysage, ébloui par ce tableau qui se peignait sous leurs yeux.

Il lui aurait bien dit que cette vue était incroyable et qu'il saluait l'intrépidité qui l'avait poussée à faire ce chemin jusqu'ici en sa compagnie, qu'il appréciait le fait qu'elle ait choisi de partager ceci avec un inconnu comme lui, mais le vent risquait d'étouffer les mots sincères qu'il se contenta de penser tout fort. De toute manière si le vent ne lui donnait pas l'excuse de les garder pour lui, il manquerait de confiance en lui pour oser le lui dire tout haut, de vive voix.

Bambi:

Ils surplombaient le vide. Les virages s'enchainaient, tous plus joueurs les uns que les autres. Sur ses hanches, la jolie brune sentit la poigne se raffermir. Il avait peur? Ou peut être appréciait-il? Bambi ne voulu pas lâcher la route des yeux par sécurité mais à cet instant, elle aurait bien jeté un coup d'œil curieux sur l'expression de son collègue. Lorsqu'il se rapprocha, elle se mit à sourire sans le vouloir sous son casque, persuadée intérieurement que d'une façon ou d'une autre ce paysage ne le laissait  - lui aussi - pas indifférent.

La route tortueuse ne rallongeait que d'une dizaine de minutes le trajet, mais pour le coup Mlle Drogov aurait presque regretté que cela ne soit pas un peu plus. Elle n'avait pas l'habitude d'avoir de la compagnie lors de ses balades nocturnes, encore moins collée contre son flanc, et elle devait bien s'avouer que Donovan lui était agréable. La professeur prit une profonde inspiration comme pour marquer ce moment dans sa mémoire. La douce caresse du vent, les roues qui s'usent, la chaleur singulière contre son dos,...et une odeur douce aux notes boisées qui vient se glisser pour la toute première fois dans son décor. 

Mais comme tous les moments de grâce que la vie accorde parfois, il y avait une fin. Et la leur se dessina en un nouveau tunnel sombre qui les recracha dans un cadre moins déchainé. Transition suffocante dont elle repensera et qui ne la laisserai pas indifférente pendant un bon bout de temps. 

Le pensionnat finit par se dessiner à l'horizon alors qu'ils filaient tout droit vers la porte de leur quotidien, le cœur mit à mal par un touché moite éphémère. L'allure ralentit jusqu'à que le bruit du moteur ne soit plus qu'un souvenir, vague écho sur leurs tympans. Bambi mit pieds à terre, n'osant pas bouger ni prononcer mot, attendant que l'homme collé contre son dos se détache de l'étreinte.

Elle abandonna à son tour la cambrure du véhicule pour retrouvé la terre ferme, libérant de son casque dans une ondulation son carré aussi noir que le ciel au dessus de leurs têtes. Elle y perdit une main pour tenter de se remettre de ses émotions et chasser la sensation contre ses reins de sa présence. 

Bambi finit par déposer ses yeux électriques sur Donovan, un peu prise de court pas ce dernier trajet. Dans un sourire doux, elle osa briser le silence.

- J'espère que le trajet vous a été plaisant.

Elle récupéra le second casque qu'elle se dépêcha de ranger en saisissant à la place un petit sac rouge qui n'attendait qu'à être déballé. La femme se replanta face à son interlocuteur, une nostalgie naissante sur les lèvres.

- Merci pour cette soirée Donovan. C'était...riche en aventures.

Rory:

Il sentait le vent frais sur ses vêtements encore un peu humides, le courant d'air le faisait frissonner, à moins que ce ne soit le contact ardent entre leurs corps moites, presque intime, sur la moto. Ses yeux profitaient de chaque morceau du spectacle qui ne dura pas plus qu'une dizaine de minutes. Il fallait définitivement qu'il retourne par ici, pour se balader et profiter de l'ambiance maritime du paysage qui lui rappelait ses terres natales. Il eut une pensée pour sa famille qui commençait à lui manquer, se doutant que sa soeur n'allait donc pas tarder à l'appeler.

Le bref détour s'acheva plus vite qu'il ne l'aurait voulu, la nature à peine éclairée par la lumière de la lune laissait place au sombre tunnel qui signait la réelle fin de cette escapade nocturne. Il s'en était passé des choses durant cette soirée et pourtant, la voilà presque finie comme si elle n'avait duré qu'un instant. La tornade nommée Dorota semblait déjà remonter alors qu'elle n'avait eu lieu que quelques heures auparavant. Rory profita encore un peu de la sensation de liberté que cette fin de balade lui procurait avant de regagner son petit train-train quotidien.

Le portail du pensionnat se fit apercevoir au loin, se rapprochant dangereusement d'eux. Sa collègue ralentit à mesure qu'ils s'en approchaient, jusqu'à l'arrêt total des moteurs. Le silence de la nuit était bercé par le bruit des insectes nocturnes et du vent dans les branches d'arbres aux abords de l'établissement. L'homme fit une ultime acrobatie pour descendre de l'engin, manquant presque de perdre l'équilibre en se retrouvant sur ses deux pieds. La professeure s'en suivit et récupéra le casque qu'il venait d'ôter. Il secoua un peu la tête, ultime tentative de faire quelques chose de ses cheveux mais sans succès, la pluie et le trajet sous le casque leur avaient rendu une liberté inhabituelle.

- J'espère que le trajet vous a été plaisant.

- Tout à fait, répondit-il calmement.

Bambi avait troqué les casques ébènes contre le petit sac rouge qu'ils avaient reçu en sortant de cette boutique peu commune. Il y avait dans ce sachet des choses que Rory préférait oublier, si ce n'est les cravates tant souhaitées. Elle le remercia pour la soirée, mettant un léger accent sur les aventures qui l'avaient rythmée. Il passa une main dans sa nuque, les yeux fuyant, avant de les poser dans ceux de la femme.

- C'est moi qui vous remercie.

Elle avait quand même partagé la vendeuse exubérante avec lui, proposé d'aller boire un verre puis l'avait gracieusement emmené sur sa moto pour une balade nocturne qu'il n'allait pas oublier de ci-tôt. Sa présence avait été très agréable et il espérait sûrement silencieusement être amené à la recroiser.

Il dirigea son regard sur le sachet qu'elle avait encore en main, se rappelant qu'il fallait qu'il prenne son dû avant de partir pour sa chambre. D'un mouvement du menton, il le désigna.

- Je vais juste récupérer mes cravates, je vous laisse le sachet si ça ne vous dérange pas.

Il attendit qu'elle lui tende son achat pour l'attraper. Il lui fit un signe de la tête, poliment, pour la remercier. Transporter un paquet de cravate à bout de bras attirerait moins l'attention qu'une belle dentelle à porter discrètement, du moins, c'était ce que pensait le psychologue.

- Merci encore pour la soirée..

Il montra la direction vers sa chambre du bras.

- Je vais aller me coucher, je vous souhaite une bonne nuit, reposez-vous bien..

Un dernier regard qui se croise et il fit volte-face pour regagner ses appartements. Il avait hâte de se changer et de se glisser sous les draps pour s'abandonner aux bras de Morphée. Il allait regretter de s'être couché si tard demain, mais il n'allait certainement pas regretter tout ce qu'il s'était passé.