somebody once told me the world is gonna roll me [privé]

Nolan:

Ce soir, il était de service à la supérette. Mais au lieu de rentrer après la fermeture, il allait faire le mur. Ses collègues comptaient finir la soirée dans un bar pas loin et lui avait proposé de venir. Entre rentrer en essayant de pas broyer du noir et passer une bonne soirée, le choix était vite fait. Il savait pas trop où il en était actuellement, quoi faire ou quoi penser, alors il ne faisait rien. Il ne fuyait plus autant qu'il ne le faisait, il se contentait de fermer les yeux en essayant de se remettre dans le même état d'esprit qu'avant. Les choses étaient toujours aussi floues avec son colocataire, il ne voulait pas y penser.

Le dernier client sortit et le rideau métallique se baissa, les lumières éteintes et le magasin ferma. Ni une ni deux, ils étaient tous les quatre en route pour boire un coup, voire éventuellement pour se mettre une sale race. Le bar était déjà bien animé, la soirée bien entamée mais ils ont rapidement trouvé une place où se poser et commander leurs premières boissons. Petite mise en bouche sympathique tandis qu'ils se racontaient leurs vies. L'un d'entre eux était étudiant en droit et suivait ses cours de l'autre côté de l'île, les deux autres étaient à temps plein à la supérette, puis ils dévièrent sur les clients relous, s'attardant sur le vieux Bernie qui passait acheter ses clopes presque tous les jours. Le vieux Bernie était sympathique, même s'il parlait trop et qu'il avait tendance à coincer la file avec ses histoires. Il a toujours une photo de ses petits-enfants dans son porte-monnaie. Nolan pensait toujours à son grand-père en le voyant. Lui aussi il avait une photo de lui dans ses papiers. Une photo de lui déguisé en pâquerette du fond gauche lors du spectacle de fin d'année de première école élémentaire.

La soirée passa, les langues se délièrent à mesure que l'ivresse s'emparaient des jeunes gens. Sauf de l'étudiant, il devait rentrer en voiture alors il se contentait de les regarder en sirotant des cocas. Ils avaient fini par parler côté coeur et fallait dire qu'aucun s'en menait vraiment large. Désinhibés, ils ont tous un peu raconté leurs soucis et Nolan aussi, en omettant de préciser que la personne qui lui trottait dans la tête était la même que celle qui lui avait refait le portrait à l'infirmerie.

L'heure avait dangereusement tourné et d'un commun accord ils réglèrent leur consommation. Ils étaient presque tous dans un piteux état, certains le vivaient peut-être mieux que d'autres.

- Mec t'es déchiré. File moi ton liquide sinon tu vas t'exploser dans l'allée.

Nolan était celui qui avait peut-être le plus abusé. Il avait sifflé ses verres comme des sirops. Ses pensées s'entre-mêlaient et plus rien n'était réellement clair. Il avait délaissé son air condescendant pour arborer une expression un peu idiote. Le monde tournait autour de lui et le sol tanguait. Ses mouvements étaient maladroits et lents, il sortit son porte-feuille et le tendit à un de ses collègues qui alla payer. Lorsqu'ils revinrent, ils l'aidèrent à sortir dehors. L'étudiant se proposa pour le ramener en voiture, mais après avoir essayer de le faire montrer dedans sans succès, ils abandonnèrent. Il était tenace pour quelqu'un qui tenait pas debout.

- Jamais- de la- vie- je montrerai d'dans.

- T'es venu comment?

- À pieds.

- Mec on habite à l'opposé, on va jamais pouvoir te raccompagner. T'as pas quelqu'un qu'on peut appeler?

Nolan sortit son téléphone et manqua de le perdre des mains en le passant à l'un des jeunes gens. Il passa son bras sur l'épaule de l'autre lui adressant un sourire abruti par l'alcool.

- Bella, appelez Bella.

Celui en possession du téléphone glissa dans les contacts, trouvant très vite le nom de la fameuse Bella. Suivi de près par "DO NOT CALL". Il arqua un sourcil.

- C'est qui "do not call"?

- C'est Asher.

- Oh.

Sa franchise le perdra. Son collègue s'éloigna un peu et appela le fameux contact dont le nom défendait pourtant d'être appelé. Ca sonna un peu avant de finalement décrocher.

- Allô? C'est un pote à Nolan à l'appareil. J'espère qu'on dérange pas trop mais on a un soucis.

Il se tourna vers Nolan toujours accroché à son autre collègue. Il était en train de lui chanter Where is my mind un peu trop faux sur l'épaule.

- En fait on est au Franky's Bar et Nolan est ivre mort. Et on peut pas le ramener. Tu crois que tu pourrais le récupérer?

Celui qui détenait le téléphone avait lui-même un certain taux d’alcoolémie dans le sang, c'était sûrement qui ce qui lui avait insufflé cette subite envie de jouer l'entremetteur alors c'était pas une très bonne idée.

Asher;

La pénombre semblait avoir englouti le pensionnat, d'un coup d'un seul, un peu après 18h. C'était l'hiver, les températures étaient bien trop basses, le soleil tombait bien trop vite.

Asher avait passé la soirée dans sa chambre, essayant vainement de se concentrer sur sa dissertation d'anglais, ses yeux fatigués fixant les lignes qu'il avait déjà écrites sans vraiment les voir. Il n'était pas bien inspiré mais n'avait pas vraiment le choix, c'était à rendre pour le lendemain; Asher avait une nouvelle fois procrastiné, se retrouvant au pied du mur et sans autre choix que de gratter sans conviction sa copie double au stylo noir.

Le texan regardait son téléphone bien trop souvent pour que ce soit productif, observant les minutes défiler sur son écran. 22h30, 23h, Minuit.

Sa dissertation était vraiment nulle, il était fort possible qu'il soit totalement hors sujet mais au moins il avait fini. Désormais il allait pouvoir aller dormir, aller s'écraser contre son matelas et profiter d'un repos bien mérité.

Mais, pour une raison un peu étrange, il ne le pouvait pas. Comme si un truc le retenait éveillé. Comme si il lui manquait quelque chose. Pendant une demie heure, il se tourna et se retourna dans son lit, changeant son oreiller de place, remettant ses draps comme il faut. Mais rien, le sommeil ne vint pas et ses paupières pourtant lourdes ne se fermèrent pas.

Il était plus d'une heure du matin lorsque l'écran de son téléphone s'alluma, formant un petit halo de lumière dans la pièce plongée dans le noir. Sa sonnerie était en silencieux mais il vit bien qu'on était en train de l'appeler. Mollement, il attrapa son cellulaire, prêt à râler contre sa copine qui semblait se foutre royalement de la notion de décalage horaire. Mais sur l'écran, le nom qui scintillait n'était pas celui Margo. 

Les sourcils froncés, ça fit tilt dans sa tête. Nolan n'était pas rentré. 

Les deux anciens amis n'avaient pas de compte à se rendre, il était tout à fait normal que son coloc' ne lui ait pas dit où il allait. Pourtant, quelque part entre la surprise de voir que son numéro était toujours enregistré dans son smartphone et l'agacement de se faire déranger à une heure pareille, bien cachée, il y avait une pointe d'inquiétude qui se frayait un chemin.

Finalement il décrocha, se redressant sur son matelas, la voix bien plus endormie que son cerveau.

— Ouais ?

La voix qui lui répondit n'était pas celle de son camarade de chambre. 

- Allô? C'est un pote à Nolan à l'appareil. J'espère qu'on dérange pas trop mais on a un soucis.

Asher fronça un peu plus les sourcils, ça puait cette histoire.

— Comment ça ?

- En fait on est au Franky's Bar et Nolan est ivre mort. Et on peut pas le ramener. Tu crois que tu pourrais le récupérer?

Asher mit quelques secondes à répondre. Ivre mort donc. C'était un choix de mots très fort, un peu inquiétant. Une bonne dizaine de questions afflua dans sa tête comme un torrent et il attrapa ses chaussures et un pull sans vraiment réfléchir.

Oui, il pouvait aller le récupérer. Non, il n'y tenait pas forcément. Mais il n'allait pas décemment le laisser croupir là bas tout seul dans le froid. Surtout si il était ivre mort.

— Envoie moi l'adresse par sms, j'arrive.

Il enfila son sweatshirt, ses baskets, son écharpe et son manteau et traversa le pensionnat en priant tout les deux en lesquels il ne croyait pas pour ne pas se faire prendre sur le fait. Il n'était pas bien discret et un peu poissard alors le fait d'avoir réussit à sortir du complexe scolaire sans encombres relevait du miracle.

Désormais tout seul dans les rues d'Eastwood, le bas du visage caché par sa grosse écharpe, Asher se caillait sévère et commençait à regretter d'avoir vouloir venir en aide à Nolan. Il n'était pas mère Thérèsa, merde.

L'adresse du lieu de son sauvetage lui fut transmise rapidement et le coeur d'Asher se serra alors que ses yeux carmins se posèrent sur son écran. Là, au dessus dudit message, étaient visibles des dizaines d'autres qui dataient de plus de quatre ans. Le dernier en date avait été envoyé le 3 mai d'il y a quelques années. Un "Faut que je te parle Ash" qu'il aurait préféré ne jamais revoir.

Il aurait du supprimer la conversation depuis longtemps. Pourtant elle était toujours là, bien au chaud au fond de son téléphone à l'écran fissuré.

Il s'arrêta un petit moment en plein milieu du trottoir, hésitant à faire demi-tour, à planter Nolan et ses potes pour aller retourner chercher le sommeil qu'il n'allait surement pas trouver cette nuit. À fuir, en somme.

Mais il n'était plus très loin et imaginer le brun l'attendre, ivre mort, ça lui fit un peu mal. 

Le petit groupe devant le fameux bar était un peu bruyant et carrément bourré, Asher pouvait le voir alors qu'il s'avançait vers eux à un rythme soutenu, les mains dans les poches pour protéger ses doigts du froid.

Ses yeux se posèrent presque tout de suite sur Nolan et un petit sourire amusé se forma sur ses lèvres, dissimulé par la grande étoffe nouée autour de son cou. Il était complètement déchiré. 

Nolan:

L'appel se termina assez rapidement, son pote était plutôt satisfait que ça ait marché. Est-ce que le dénommé "do not call" allait réellement se pointer? Il espérait, parce que là tout de suite, il était très fier. Il se tourna vers ses collègues avec le pouce en l'air.

- C'est parfait, on va venir te récupérer.

Nolan l'écoutait à moitié, commençant à chuchoter des passages du script de Space Balls dans l'oreille du malheureux qui s'était laissé attrapé. Même si l'envie de fuir de ce dernier était immense, il ne pouvait décemment pas se décaler, sous peine de faire tomber le grand brun. L'étudiant adossé à sa voiture ricanait bien de son côté, bien content de pas avoir à subir ça.

- T'as déjà songé à te reconvertir dans l'asmr?

- Non.

- Bah tu fais bien.

Nolan fit la moue avant de se taire. Il plissa les yeux, mais le monde qui l'entourait ne voulait pas s'arrêter de tanguer, ses sens en alerte étaient totalement désorientés et au fond de lui, il était content que ses collègues restent avec lui. Même si il avait une envie irrépressible de faire chier chaque être vivant dans un rayon de 5 mètres autour de lui. Il soupira lourdement et leva la tête. Il manqua de se péter la gueule et fut rattraper de justesse par celui à qui il avait confié son téléphone, qui profita au passage pour le lui rendre, maintenant qu'il était sûr que Asher ait bien réceptionné l'adresse. Il le glissa dans la poche de sa veste et la ferma, se disant que c'était plus sûr qu'il le range lui-même plutôt que de lui confier.

Le temps se faisait un peu long, et à ne pas bouger, Nolan commençait à avoir froid. Il passa un deuxième bras autour de son collègue, lui demanda s'il pouvait lui réchauffer les mains. Un premier refus se fit entendre. Alors il insista, lui demandant s'il pouvait les mettre dans son pull. Tandis qu'il glissait sa main gelée dans le col de son pote, ce dernier ne put réprimer un petit cri de surprise. Les deux autres essayèrent de ne pas rire mais c'était trop dur.

Entre les lampadaires dansant du trottoir d'en face, il crut reconnaître une silhouette familière. Vu le peu de gens dehors à cette heure, et le  fait qu'elle semblait de diriger vers eux, Nolan en conclut que c'était Isabella. Tandis que les traits se dessinaient plus précisément sous la lumière de la rue, il ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Elle avait changé, il se souvenait pas qu'elle était si grande.

- J'ai rapetissé?

Ses potes le rassurèrent que non. Et c'est alors que ses deux neurones restantes se connectèrent dans une ultime illumination. Cette tignasse il la reconnaissait entre milles. Il fit des grands yeux à l'attention de son collègue qui avait passé le coup de fil.

- C'est pas Bella ça.

- Ah! Il fait si froid, mon doigt à dû glisser...

Nolan hurla intérieurement. Il avait certes déjà 50 autres voix qui hurlaient déjà en arrière-plan, mais cette 51e faisait une petite différence. Ils avaient appelé Asher pour le récupérer. Et Asher était venu. Il sentait comme un gamin de 12 ans après avoir eu un eye-contact avec son crush. Enfin, c'était un peu le cas, à la différence qu'il avait plus 12 ans.

- Cachez-moi s'il vous plaît, chuchota-t-il.

- Non, il est venu pour te chercher, on lui avait répondu en chuchotant.

Ne pouvant donc définitivement se défiler, il prit son air le plus confiant, levant un coude pour s'accouder sur le voisin auquel il ne se tenait pas, voir double d'aidant pas à analyser les distances, il le loupa d'une dizaine de centimètres et manqua de se péter la gueule. Il se rattrapa de justesse, un peu titubant et réussit à se tenir droit sur ses deux jambes. Il servit un sourire idiot à celui qui ressemblait quand même beaucoup à Asher avant de lui faire un petit signe de la main.

- Salut! Je pensais pas te croiser à cette heure-ci!

Ce qui était pas foncièrement faux. Il ne s'attendait vraiment pas à le croiser à cette heure-ci et dans ce contexte là. Non pas que ça le dérange, loin de là. Ses émotions négatives étaient rangées dans le placard, avec sa honte aussi d'ailleurs. L'alcool qui lui coulait dans le sang avait décidé de l'empêcher de quitter son air bête et son humour hasardeux jusqu'à ce qu'il ait cuvé.

Asher;

Le froid semblait lui morde le haut des joues, la peau de ses pommettes était écarlate et ses mains étaient un peu engourdies. Certains disaient que la fraicheur avait un effet revigorant, il paraissait même que dans certains pays, ils utilisaient les températures glaciales pour booster leurs défenses immunitaires. Des grands malades, si vous voulez l'avis du jeune homme.

Il n'était pas bien présentable, le jogging qui lui servait de pyjama avait des tâches rougeâtres au niveau des genoux et il avait les cheveux en bataille, comme si quelqu'un s'était amusé à les tirer avant qu'il ne sorte. La grande classe. Il se consola en se disant qu'au moins lui, il n'empestait pas l'alcool.

Si effectivement le célèbre adage "le ridicule ne tue pas" et que "ce qui ne tue pas rend plus fort", alors Nolan Lynch était l'homme le plus puissant de tout Eastwood. De tout le continent même. La gravité semblait avoir un effet un peu curieux sur lui puisqu'il manqua de se ramasser contre le trottoir dans une tentative un peu désespérée de s'accouder sur l'épaule de son pote.

Pote qui était bien patient, comme les deux autres qui observaient la scènes avec des grands sourires aux lèvres. La patience devait provenir des verres qu'ils s'étaient enfilés, parce qu'à part la boisson, Asher ne voyait pas ce qui pouvait pousser les gens à être attentionnés envers Nolan bourré.

Il le fixa un instant et changea vite d'avis en voyant son sourire idiot.

Les quatre joyeux lurons n'avaient pas l'air fins comme ça, à tituber devant un bar. Mais le pire restait quand même le grand brun. Il avait l'air de s'être mit une race monumentale. Un soir de semaine en plus, le crétin.

Je ne pensais pas te croiser à cette heure-ci.

— Moi non plus à vrai dire.

Il avait déjà du mal à croire qu'il avait fait le déplacement.

— Je préférerais être dans mon lit actuellement.

Il avait froid, d'autant plus désormais qu'il s'était arrêté et qu'il était planté là sur le trottoir. Son pied commença à taper doucement l'asphalte pour tenter de faire grimper sa température corporelle qui s'était fait la malle. Et puis peut-être aussi parce qu'il était impatient de retrouver ses draps et le confort de sa chambre.

Les petites oeillades complices et pas bien discrètes que s'échangeaient les collègues de Nolan le mettait un peu mal à l'aise. Il avait l'impression d'être entouré de gosses qui préparaient une fourberie. Et le texan avait une sainte horreur des gosses.

Il avait envie de prendre ses jambes à son cou et de s'enfuir. Mais il devait avant-tout réceptionner Nolan et son taux d'alcoolémie trop élevé. Il lui attrapa le poignet et le tira un peu vers lui.

— On va rentrer du coup.

Il se gratta la nuque, conscient qu'il devait surement rajouter un truc. Que potentiellement dans ces situations là, on exprimait sa gratitude. Mais bon, Asher n'était pas bien ravi de s'être fait dérangé en pleine nuit. Il s'en serait bien passé. Alors il ajouta, histoire de:

— Merci de pas l'avoir laissé crevé dans le froid.

Nolan:

La vision périphérique de Nolan était un peu étroite, son esprit bien trop embué par les vapeur d'alcool et sa capacité d'attention bien trop raccourcie. Surtout depuis qu'un certain quelqu'un se trouvait devant ses yeux, ses pensées s'étaient retrouvées perdues à observer les boucles brunes et ébouriffées qui trônaient fièrement sur sa tête. Il ne remarqua pas les regards furtifs échangés entre ses collègues, ni quoi que ce soit d'autre. 

Sa capacité intellectuelle était réduite à néant, tantôt absorbée dans la vacuité absolue, tantôt tiraillé entre un débit d'élucubrations bien trop important. Il se laissa tirer doucement par le poignet, se demandant si les cheveux d'Asher obéissaient à la gravité ou s'ils étaient dotés d'une physique tout particulière qui leur était propre. 

Ses collègues hochèrent doucement la tête face aux remerciements du texan. 

- Si t'avais pas répondu c'est peut-être ce qu'ils se serait passé! Merci à toi de l'avoir récupérer!

Nolan tourna la tête, soudainement happé par leurs mots, en fronçant les sourcils. Hé oh, je vous entends hein, il avait soufflé. Ils se saluèrent une dernière fois, l'étudiant proposant aux deux autres s'ils voulaient qu'il les ramène. Ils avait répondu positivement et étaient monté à bord de la petite voiture avant de s'en aller dans la direction opposée. Nolan leur fit un petit signe de main à la reine Elizabeth avant de se retourner vers Asher. Il ouvrit la bouche, détachant chaque syllabe avec des mouvement ample de la tête comme s'il souhaitait accentuer chaque intonation.

- Bon eh bien, je crois qu'il ne reste plus que toi et moi.

Il avait tenté un haussement de sourcils avec un sourire en coin qui lui donnait plus l'air d'un imbécile qu'autre chose. Il avait fait glissé son bras sur l'épaule du brun, dans un geste maladroit parce qu'il manquait de se péter la gueule à tout instant. Même si dans le fond, ça le dérangeait pas tellement que ça d'être bras dessous bras dessus, puis il avait pas spécialement envie de s'étaler. Pas par honte, juste qu'il était pas sûr qu'il pourrait se relever une fois à terre. Sans aucune raison - est-ce qu'il avait réellement besoin d'une raison, de toute façon -, son large sourire s'était étiré et était maintenant bien cramponné à ses joues rosies par les morsures du froid, ses yeux brillants se plissant doucement. À tout moment il exploserait de rire. 

Il détourna le regard, pensant un peu brièvement que ça pourrait aider, mais non. Les fossettes qui étaient nées près de ses lèvres ne comptait pas s'estomper et il ne put réprimer un rire du nez un peu étouffé. La bistouille lui dictait sa conduite tout en libérant d'une pression écrasante. Il n'avait strictement aucune idée de pourquoi il était en train de frôler une folle crise d'hilarité, en revanche, il était beaucoup plus sûr du fait qu'il allait bientôt craquer. Ce n'était qu'une question de temps.

Asher;

La petite voiture emporta les trois amis de Nolan, créant un nuage de fumée dans le froid de la nuit. On entendit le vomissement du moteur pendant quelques secondes avant que le silence ne retombe finalement sur la rue déserte. Une main enfouie dans sa poche, l'autre entourant pas totalement le poignet du grand brun, il n'avait pas bien l'air fin, planté là à se geler les joues.

Nolan s'était finalement tourné vers lui, ses yeux vitreux croisant les siens avant qu'un sourire se mette à flotter sur son visage. Lui non plus n'avait pas l'air fin, il avait même l'air carrément stupide. Et alors que le texan était convaincu qu'il ne pouvait pas avoir l'air plus idiot, son colocataire écrasa cette conviction avec une remarque d'une évidence presque ridicule.

Les coins de la bouche d'Asher remontèrent imperceptiblement sous son écharpe, bon sang mais quel imbécile.

— Bien vu Sherlock.

Son petit sourire le quitta très vite alors qu'il sentait un bras musclé lui entourer maladroitement l'épaule. Il eut un petit sursaut et tourna la tête un peu trop vite vers Nolan qui avait l'air au bord du fou rire. Il haussa un sourcil, observant la lueur espiègle dans les yeux de son camarade sans en comprendre l'origine. 

Le plus grand des deux détourna finalement les yeux laissant à Asher le loisir d'admirer les fossettes visibles sur ses rouges rouges. Leurs ombres se déplacèrent finalement, éclairées par la lueur jaunâtre des lampadaires. Ils marchaient doucement, Nolan manquait de se ramasser sur le goudron tous les cinq mètres. À ce rythme, ils y seraient encore à l'aube.

Faisant fi de son hésitation et des questionnements sur l'hilarité maladroitement masquée de son ancien ami, le jeune homme entoura sa taille de son bras libre, sa main délaissant la chaleur de sa poche pour aller trouver celle de la hanche de Nolan à travers son manteau. 

— Qu'est-ce qu'il y'a de si drôle ? Marmonna t-il finalement, sa voix étouffée par le tissu épais qui protégeait son visage de la bise mordante.

Nolan:

Le froid mordait gourmandement ses joues saillantes qui ne pouvaient empêcher ce sourire trop difficile à contenir de s'étirer. Il avait senti le bas d'Asher sur sa taille, l'information mit un temps avant de venir jusqu'à son cerveau avant de se mêler au flot un peu amorti d'informations qui avait l'audace de lui passer par la tête. Son cerveau était un peu pareil un modem saturé, c'était le chaos en arrière-plan tandis qu'un biiiip retentissait sur le premier. Pas moyen de réfléchir à grand chose, confiant la plupart de ses réactions à son instinct incroyable, son feeling génial et son charisme à tomber par terre. Au sens propre du terme.

Néanmoins, la chaleur que lui procurait cette situation dans le creux du ventre n'avait pas besoin de trouver une explication, la sensation agréable d'être contre quelqu'un, bon, certainement pas n'importe qui mais il n'avait pas réellement à l'esprit d'y réfléchir là tout de suite.

- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle?

Nolan souffla du nez, les lèvres pincées. Il releva un peu la tête pour regarder son interlocuteur dans les yeux. Il était totalement torché, et la quantité outrancière l'alcool qui coulait dans son sang était sûrement la seule explication qu'on puisse donner à ce qui était en train de se passer. Son rire étouffé finit par éclater un peu plus sans qu'il ne puisse réellement articuler une potentielle excuse à sa crise de fou rire.

- Je- Il souffla. Aucune idée! Je sais pas..

Il ria de plus belle pendant quelques instants, se tenant le ventre de l'autre bras, utilisant le peu de performance intellectuelle encore disponible pour ne pas se péter la gueule. Il reprit un peu son souffle, tandis que sa brève hilarité se calmait.

- Désolé pour ça, il articula avec un sourire niais sur les lèvres.

Il soupira en essuyant une larme au coin de ses yeux. La brise souffla sur son regard un peu humide, la sensation le fit frissonner, s'accrochant un peu plus inconsciemment à Asher. Il tourna son visage vers son camarade, remarquant son écharpe qui lui couvrait le bas du visage. Il en avait de la chance, Nolan regrettait amèrement d'être sorti aussi léger. Il aurait peut-être dû prendre un cache-nez aussi, et peut-être des gants aussi. Il fit la moue.

- J'ai froid aux mains. Je peux les mettre dans ton pull?

De base, il prévenait après avoir agi, mais vu la couche de protection contre le froid dans laquelle son ancien meilleur ami était emmitouflé, il risquait de finir à terre avant d'avoir réussi à lui mettre ses mains froides dans la nuque. C'était plus optimal de lui demander avant. Même s'il était fort probable qu'il lui dise non, qui sait! Peut-être que dans une dimension alternative il dirait oui. Peut-être qu'il était déjà dans la bonne dimension.

Il attendait sa réponse, le regardant dans le blanc des yeux, essayant de mimer une expression de chien battu autant que son regard vitreux le lui permettait.

Asher;

Le rire peu délicat de Nolan finit par éclater, faisant un boucan d'enfer, crevant le silence nocturne des rues du quartier plongé dans le sommeil. Il allait finir par réveiller le voisinage mais Asher, bien qu'un peu gêné et perplexe n'eut pas le coeur de lui dire de se taire. Il était bien trop occupé à fixer son visage, les larmes aux coins de ses yeux et à écouter la mélodie disgracieuse mais pas désagréable qu'était l'esclafement du grand brun.

C'était bizarre de le voir rire vraiment, sans sarcasme et surtout sans réelle explication. En tout cas Asher en avait perdu l'habitude.

Dans d'autres circonstances, le texan et sa fierté mal placée se seraient surement énervés, pensant à tord que son ancien ami se foutait de sa gueule. Mais la grande asperge qui était littéralement pliée de rire à ses côtés était trop ivre pour qu'il y ait une réelle arrière pensée à son fou rire. Ou alors une arrière pensée vraiment débile alors il ne s'en formalisa pas. 

Les rires se calmèrent jusqu'à ce que le silence reprenne le dessus. Ça faisait vide tout d'un coup, comme si la rue qu'ils traversaient avec une lenteur exaspérante était de nouveau froide. Il s'excusa, avec un sourire un peu stupide, un peu simplet qui contrastait avec les bleus qui avaient finalement virés au vert encore à peine visibles sur son visage. Il s'en voulait déjà avant de l'avoir roué de coups mais le voir avec cette expression si naïve accentua encore un peu plus les remords.

Remords qui passèrent bien vite en arrière plan alors que Nolan lui demandait si il pouvait mettre ses mains dans son pull pour les réchauffer. Les joues d'Asher étaient déjà rougies par le froid alors leur couleur ne changea pas mais le texan sentit la chaleur de la gêne lui embraser la peau. 

— Certainement pas !

Où est-ce qu'il allait tirer ses idées farfelues ? 

— Après c'est moi qui vais avoir super froid.

En soi, ce n'était pas vraiment ça qui le dérangeait le plus. Il crevait déjà de froid, alors les mains de Nolan n'allaient surement pas changer grand chose. Cependant l'idée que les paumes de son colocataire soient en contact direct avec lui créait une réaction un peu bizarre dans sa tête et sur ses joues. Il détourna la tête si vite que ça lui fit mal au cou.

Il continua à marcher tout en soutenant fermement Nolan. Dans sa vision périphérique, il voyait les yeux sombres du jeune homme qui le suppliait de céder. Il pesa le pour et le contre, chassant la vision des mains du sportif dans sa nuque avant d'enlever son écharpe et de lui la tendre. C'était un peu à contre-coeur mais c'était déjà mieux que la solution absurde qu'il avait proposé quelques instants plus tôt.

— Tiens.

Nolan:

Mince, son plan n'avait pas fonctionné, ses yeux doux n'avaient pas eu l'effet escompté. Les planètes n'étaient pas assez bien alignées pour que Nolan puisse trouver un refuge chaleureux, le voilà condamné à accepter son destin tragique: celui d'avoir froid. La raison pour laquelle Asher ne cédait pas était tout à fait louable. Il pouvait comprendre son désir de ne pas succomber à la température glaciale. C'est alors qu'une idée génial naquit alors dans l'esprit embrumé du sportif. Un échange à l'amiable. Il récupérait un peu de chaleur et en échange, il le réchauffait de tout son corps, il aurait bien les bras assez grands pour l'y tenir tout entier, sans aucun doute. Sans tomber par contre, c'était une autre histoire, et c'était peut-être la plus grande faiblesse de ce plan si durement travaillé.

Il peaufinait son air de petite chose malheureuse, cherchant l'attention du texan, attendant le parfait timing, mais surtout essayant de mettre les mots dans le bon ordre avant d'ouvrir la bouche. C'est alors que le jeune homme qui le tenait fermement ôta son écharpe si avidement conservée pour la lui tendre. Les yeux de Nolan s'ouvrir en grand, clignèrent deux trois fois d'un air un peu bête.

- Oh.

Il attrapa l'écharpe comme si on venait de lui faire un cadeau.

- Merci..!

Il avait articulé, tandis qu'il l'essaya de l'enrouler autour du cou. Il se sentait un peu plus au chaud maintenant, son nez rosi par le froid l'en remerciait. Il observa un peu devant lui, tandis que le textile lui effleurait doucement les joues, il sentit l'odeur d'Asher, mélangée avec une senteur de lessive. Il rentra sa tête dans ses épaules, il avait un peu chaud aux joues tout d'un coup, sûrement à cause de l'écharpe, elle devait être prodigieuse.

Il se redressa un peu et tourna la tête vers son camarade, en plissant les yeux. Il avait un large sourire idiot qui dépassait du cache-col si gentiment prêté. Il leva un pouce, même s'il avait froid, pour témoigner sa gratitude. Puis il se dit que c'était peut-être pas assez explicite. Alors il pencha sa tête sur le côté, la posant un peu sur l'épaule d'Asher, avant de passer son autre bras contre le torse de ce dernier, le serrant dans un câlin très maladroit. Un pied devant l'autre, ne pas tomber. Il renforça encore un peu son étreinte avant de la relâcher un peu.

- Qu'est-ce que je ferais sans toi, le monde ne te mérite pas Ash'!

Ca lui échappa, sans vraiment qu'il y réfléchisse. Il ne l'avait peut-être pas appelé comme ça depuis belle lurette, mais ça non plus, il n'y avait pas réfléchi avant d'ouvrir la bouche. Il se redressa, ôtant sa tête de l'épaule de son ancien ami. C'était un mouvement dangereux, vu sa capacité à ne pas réussir à tenir correctement sur ses deux jambes, même s'il était bien accroché, à tout moment il l'entraînerait dans sa chute. C'était donc dans leur intérêt commun de rester debout, et c'était sûrement le seul truc que Nolan pouvait faire correctement, enfin, essayer quoi. Faire un petit effort, quand même, ce serait la mega loose sinon.

Asher;

Le contact avec l'étoffe chaude semblait avoir coupé le sifflet de Nolan. Il ressemblait à un gosse ainsi emmitouflé dans l'écharpe. Un gosse bourré. Ouais non, c'était peut-être pas la comparaison du siècle.

Maintenant c'était le texan qui avait froid, le vent lui léchait la nuque alors il referma le col de son manteau un peu maladroitement à cause de ses doigts engourdis. Sa main lâcha bien vite son blouson alors qu'un poids tomba contre son épaule. Son bras retomba mollement le long de son corps alors que celui du brun se collait contre lui. Pendant un instant, Asher eut presque trop chaud, les joues en feu, les doigts gelés.

Ça tournait à toute allure dans sa tête, ça fumait presque. Qu'est-ce qu'il était censé faire ? Le repousser dans son état l'aurait surement fait tomber et de toute façon il s'accrochait bien trop fort à lui. Si Nolan venait à se ramasser par terre, il aurait entrainé le texan dans sa chute. Une tape amicale sur l'épaule peut-être ? Le genre de bourrade bien virile qui accompagnait souvent les grands discours de son père. Mouais, bof.

Avant qu'il ne puisse choisir la bonne attitude à adopter, l'étreinte se fit moins forte et le plus jeune put respirer de nouveau. Le froid revint. 

Le monde ne te mérite pas Ash' !

Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu ce surnom dans sa bouche. Pourtant le diminutif avait glissé sur sa langue avec une facilité un peu déconcertante. Ça fit l'effet d'une claque au susnommé et il repensa au message qu'il avait redécouvert quelques minutes auparavant. Sans vraiment s'en rendre compte, ses doigts se serrèrent un peu plus sur la taille de Nolan qui s'était finalement redressé.

Est-ce qu'il avait la moindre idée du bordel qu'il était en train de foutre chez le texan ?

La tête d'Asher n'avait jamais vraiment été bien rangée. Loin de là. Mais là Nolan, ses mots et ses actions imbibées d'alcool foutaient tout allègrement par terre. Un peu comme un ouragan.

Il essaya de prendre un air détaché, priant pour que son camarade ne s'interroge pas trop sur le temps de latence qui avait précédé sa réponse. 

— Actuellement, sans moi, tu ferais du stop.

Le monde ne te mérite pas. Ça le texan en était bien moins convaincu.