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dis-moi [privé]
Dimanche 4 Septembre 2022 à 19:57 Cafevy
Thérèse Sherman :
Elle en avait eu des attentes, Thérèse, en laissant derrière elle une soirée inopinée ponctuée d'une hardiesse qu'elle avait peut-être sous estimée. Elle en avait eu des attentes, quand elle avait précisément souligné la balle qu'on s'était tiré dans le pieds en proposant une rencontre intime pour se faire pardonner d'un comportement pitoyablement exécrable. Les promesses c'était fait pour être tenu, pas vrai, quand Ray semblait particulièrement malhabile à ce sujet. L'air frais qui s'était écrasé contre sa peau, elle s'en souvenait parfaitement. Elle se souvenait au moins tout aussi bien des lèvres qui en avaient fait autant, contre les siens, requête demandé sans trop y penser. Sur l'instant, l'envie s'était cristallisée et lui avait fait pousser des ailes. Peut-être pas aussi belles et flamboyantes que celles de son ami (s'ils étaient encore tout à fait amis), mais deux grandes ailes qui battaient comme ses cils et qui acceptaient sans trop se faire prier l'attention délicate qu'on lui avait réservé. C'était pas leur genre, de se perdre en grands discours de toute façon. C'était pas leur genre non plus de tourner autour du pot, de ce qu'elle avait pu entendre. Ray, il faisait parti de ces types charmants et charmeurs qui se prenaient au moins autant de râteau que de baisers enflammés, non ? Et Thérèse ne s'était jamais cachée des conquêtes qu'elle avait pu amasser, à croquer la vie à pleines dents et repousser au lendemain des regrets qui finissaient toujours par apparaitre, sinueux et agaçants. Un peu comme lui, en fait. Surtout pour ce qui était de l'agacement.
Parce qu'elle avait bien cru, naïvement, Thérèse (et elle jurait qu'on ne l'y reprendrait plus, encore une fois) que ce baiser échangé sous le ciel étoilé (c'était quand même sacrément romantiquement pour un supposé coureur de jupons dans le genre de l'oisillon) promettait un nouveau départ sur de bonnes bases. Bon. Elle aurait du se douter que tout n'allait pas miraculeusement rentrer dans l'ordre et que sa rancune allait se tirer aussi rapidement qu'elle s'était glissée dans son cœur sur ce foutu canapé dans cette foutue maison inconnue, mais de là à devoir essuyer le comportement puéril de son ami, il y avait un monde. Elle jurait pour cette fois qu'elle ne se laisserait pas faire, comme pour la première, et rien que cette idée aurait du terrifier Ray et les maigres conversations qu'ils échangeaient depuis quelques jours, déjà.
S'il avait eu valeur de réconciliation, quelque chose disait à la principale intéressée que ce baiser venait de créer quelques discordes supplémentaires qu'il faudrait bien affronter. Crever l'abcès, tout ça, avant d'avoir envie de le crever, lui. Toujours, lui. C'était pas une amourette qui allait durer le temps d'une semaine, ce qu'elle ressentait. C'était pas non plus l'amour fou, le grand, celui qu'on lui avait vendu à force de lire elle ne savait trop quels romans à l'école (de toute façon, elle n'y croyait pas vraiment à ces sacrifices par amour, c'était ridicule et pas franchement sain, de son point de vu). C'était simplement un intérêt qu'elle avait espérer réciproque et qu'elle aurait apprécié approfondir. Si seulement monsieur n'avait pas décidé de jouer les cons, comme ses congénères. A croire que ça lui réussissait jamais, les idiots dans son genre. Ray avait au moins pour lui une gentillesse toute relative, et l'envie de faire les choses bien. Enfin, quand il fallait les rattraper. Quand il n'avait, semblait-il, plus l'intérêt de sa chère et tendre convoitée.
La chance avait fini par s'en mêler. La providence, ou une connerie du genre, avait eu la merveilleuse idée de lui refiler, dans son groupe de travail, l'énergumène et les silences un peu trop prononcés qu'il gardait en sa présence quand les regards se faisaient un peu plus longs, et qu'ils attendaient des réponses qui n'arrivaient pas. Toujours pas. Et putain, Thérèse en avait marre d'attendre. Elle avait patiemment attendu (encore une fois tout était relatif) pendant toute la durée de cette énième réunion quelque chose. Un échange, aussi minime soit-il, qui aurait su effacer l'impression qu'on la prenait pour une conne. Elle mordait pas, alors pourquoi ce besoin ridicule de ne rien dire. Elle n'allait pas le frapper, non plus, alors pourquoi ne pas jouer cartes sur table et convenir à un arrangement qui dénouerait la situation.
Mais rien.
Et sa patience commençait à s'amoindrir. Elle s'effritait. Elle glissait entre ses doigts sans que la fille Sherman ne trouve le moindre intérêt à tenter de la rattraper. A jouer avec le feu on finissait par se brûler, et l'attention qu'on accordait aux autres plus qu'à elle avait eu raison du peu de bonne foi qu'elle accordait à Ray. Il jouait à quoi, exactement, ce petit con ? Sans trop savoir s'il s'agissait là d'une fierté foutrement mal placée ou de sentiments mal dissimulés, Thérèse avait laissé ses camarades se tirer, un à un. Elle avait échangé quelques banalités qu'on se servait, avant de se quitter, prenant un malin plaisir à observer son "ami" prendre son temps. S'il savait ce qui l'attendait. S'il l'avait su, il se serait peut-être dépêché. S'il l'avait su, il aurait peut-être pris ses jambes à son cou.
Profitant de son inattention, et du calme nouveau dans la pièce, la frêle silhouette s'était glissée devant la porte (histoire d'empêcher la moindre fuite quand sa composition n'allait pas freiner Ray bien longtemps), et de sa voix la plus douce (celle qui n'annonçait jamais rien de bon) s'élevait une demande innocente :
— On peut parler ? En tête à tête ?
Que personne ne soit là pour attester du massacre qui risquait d'arriver. Parce qu'elle sentait déjà son coeur s'emballer. L'énervement, bien évidemment. Quoi d'autre ? La possibilité d'essuyer quelques excuses minables pour lui faire comprendre que ce baiser avait été une erreur stupide ? Et puis quoi encore...
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